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sonder la moralité d’un homme ou plutôt la force et la portée d’un instrument dont il devait se servir.

Despilfarro ne répondit rien.

« Voyons, j’attends une réponse, reprit don Estévan qui semblait se faire un véritable plaisir de l’embarras du sénateur.

— Vous êtes cruel, en vérité, don Estévan, reprit Despilfarro, de mettre ainsi les gens au pied du mur ; je… je… Caramba ! c’est fort embarrassant… »

Don Estévan l’interrompit. Cette hésitation lui disait ce qu’il voulait savoir ; un sourire ironique effleura sa bouche, puis, quittant le ton de la plaisanterie :

« Écoutez, Tragaduros, dit-il plus sérieusement, il serait indigne d’un gentilhomme de continuer plus longtemps un badinage dont l’honneur d’une femme fait les frais ; le passé de doña Rosario est pur comme son front. »

Le sénateur respira.

« D’ailleurs, reprit don Estévan, j’ai besoin que vous ayez en moi une confiance sans limite ; je vous donnerai donc, le premier, l’exemple d’une franchise sans bornes ; le succès de la noble cause que j’ai embrassée en dépend. Sachez donc d’abord qui je suis. Arechiza, reprit-il en souriant, n’est que mon nom d’emprunt ; quant à celui que je porte véritablement et que je vous dirai tout à l’heure, j’ai fait serment, depuis ma jeunesse, que nulle femme, fût-elle plus belle et plus riche que doña Rosario, ne le partagerait avec moi. Maintenant que mes tempes commencent à blanchir, irais-je manquer à un serment que tout me fait une loi de respecter ? car si parfois une femme peut être, comme celle que je vous propose, un marchepied à l’ambition, plus souvent encore elle est un obstacle. »

En parlant ainsi, don Estévan se promenait à son tour d’un air agité, tandis qu’un reste de défiance se lisait encore sur la figure de son interlocuteur. Arechiza reprit :

« Vous voulez des explications plus précises, vous les aurez. »