Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eu cette velléité, jadis, comme tout le monde. Mon histoire a été aussi celle de bien des gens, ma maîtresse en a épousé un autre. Il est vrai que je m’en suis bien… que je m’en suis bien vite consolé, dit Arechiza en se reprenant. Mais qui croyez-vous donc que je suis ?

— Qui vous êtes ? Eh parbleu, vous êtes don Estévan de Arechiza.

— Voilà qui fait honneur à votre pénétration ; eh bien ! comme j’ai demandé la main de doña Rosario pour l’illustre sénateur Tragaduros y Despilfarro, je ne puis maintenant prendre sa place.

— Mais enfin, reprit le sénateur, pourquoi ne pas avoir fait cette demande pour vous ?

— Pourquoi ? Parce que doña Rosario, fût-elle trois fois plus belle et trois fois plus riche, ne serait ni assez riche ni assez belle pour moi. »

Despilfarro bondit d’étonnement.

« Eh ! qui êtes-vous donc, vous demanderai-je à mon tour, s’écria-t-il, pour dédaigner un semblable parti ?

— Mais, comme vous dites, don Estévan de Arechiza, » répondit simplement l’Espagnol.

Le sénateur fit trois fois le tour de la chambre avant de pouvoir rassembler ses idées ; mais, fidèle au système de défiance qui s’était soudainement éveillé chez lui, il reprit :

« Il y a dans tout ceci quelque chose que je ne m’explique pas, et, quand je ne m’explique pas les choses, je ne les comprends pas.

— C’est logique, répondit don Estévan d’un ton railleur ; mais me serais-je trompé sur votre compte, mon cher sénateur ? Je vous faisais l’honneur de vous croire au-dessus de certains préjugés ; et quand il y aurait dans le passé de la belle Rosarita, comment dirai-je ?… quelque… quelque préjugé à fouler aux pieds, est-ce à dire qu’un million de dot et trois millions d’espérances ne seraient à vos yeux d’aucun poids ? continua-t-il comme s’il voulait