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— Oh ! c’est magnifique, corbleu ! seigneur de Arechiza, c’est une cascade de félicités ; on ne saurait plus doucement commencer pour mieux finir. C’est un rêve ! c’est un rêve ! s’écria le sénateur en continuant à parcourir la chambre à grands pas.

— Hâtez-vous donc d’en faire une réalité, répliqua don Estévan.

— Est-ce donc si pressé ? demanda le sénateur en s’arrêtant tout à coup.

— Pourquoi cette question ? Peut-on trop s’empresser d’être heureux ? »

Le sénateur était devenu pensif. Un accès de défiance parut définitivement tarir la source de son ivresse, et ce fut d’un air soucieux et embarrassé qu’il reprit :

« J’étais résigné, je vous l’avoue, à épouser une héritière dont la laideur, comme c’est l’usage, compensât l’opulence, et vous me voyez confondu de la beauté de celle-ci.

— En êtes-vous fâché, par hasard ?

— Non, mais ce bonheur m’effraye. Il me semble que quelque raison que je ne veux pas pénétrer, vous le dirai-je ? quelque triste désappointement se cache sous cette séduisante perspective.

— C’est bien là le cœur de l’homme, répondit don Estévan ; j’aurais prévu cette objection de la part de tout autre, mon cher sénateur, mais je n’aurais pas pensé que vous pussiez vous inquiéter du passé quand on vous fait le présent et l’avenir si beaux. Ah ! ah ! ce pauvre Despilfarro, continua l’Espagnol en riant, je l’aurais cru plus avancé, sur mon honneur !

— Au fait, reprit le sénateur en croyant donner une haute preuve de capacité diplomatique, pourquoi, entre nous, prodiguer aux autres ce trésor de beauté, sans parler des richesses matérielles dont cette séduisante créature peut disposer, quand vous-même…

— Quand moi-même je pourrais l’épouser, n’est-ce-pas ? Que voulez-vous, je n’a pas de goût pour le mariage. J’ai