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sarita. De sa fenêtre il jetait un regard distrait sur la campagne endormie. La lune brillait en éclairant comme un long ruban la route qu’il avait suivie et qui serpentait dans la plaine et allait se perdre au milieu de la forêt environnante. La forêt elle-même était plongée dans le plus profond silence, et la brise en agitait les cimes argentées. Les sources qu’elle abritait étaient livrées aux hôtes des bois, et de temps à autre un sourd mugissement décelait l’angoisse de quelque taureau qui éventait l’âcre odeur des rôdeurs de nuit. Ces sons, joints aux accords d’une mandoline qui se faisaient entendre dans l’intérieur de l’hacienda, troublaient seuls le mélancolique silence de la nuit.

L’heure était aussi propice aux méditations amoureuses qu’aux pensées graves, et les unes et les autres se présentaient en foule à l’esprit de Tiburcio.

Comme tous ceux qui ont vécu dans la solitude, il avait dans le cœur un fonds de poésie rêveuse qui s’alliait chez lui à l’énergie d’action de l’homme pour qui cette solitude a été peuplée de dangers. Sa situation présente était donc en rapport avec cette double disposition. Son amour était menacé, la froideur de doña Rosarita le lui disait assez ; un secret pressentiment l’avertissait aussi qu’il était entouré d’ennemis.

Au milieu de la triste méditation de son esprit, un fait matériel attira son attention. Une lueur brillait au loin sous le couvert de la forêt. Cette lueur, en partie éclipsée par la clarté de la lune, tremblait mystérieusement à travers le feuillage agité par la brise, mais de fait elle était stationnaire. Elle indiquait donc une halte de voyageurs.

« Si près de cette hacienda ! se dit-il en faisant trêve, à cet aspect, à ses propres réflexions. Que veut dire cela ? Pourquoi ne pas venir ici demander l’hospitalité ? Ces voyageurs ont-ils donc quelque raison de se tenir éloignés ? Sont-ce des amis inconnus que quelquefois le ciel envoie à celui qui en a besoin ? Cuchillo, don Estévan, ce