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tements délabrés, qui formaient à ses yeux un pénible contraste avec l’élégant costume des deux autres voyageurs. Pendant que don Estévan entretenait son hôte avec cette distinction de manières qui le caractérisait, le sénateur dévorait des yeux la fille de don Augustin, et ne tarda pas à mêler ses compliments prétentieux aux propos pleins d’urbanité et de bon goût que lui adressait le seigneur Arechiza, en homme qui savait bien son monde.

Ce fut avec un sourire bien différent de celui qu’elle venait d’accorder à Tiburcio, que la jeune fille accueillit ce concert de galanteries. Aussi ce dernier observait-il avec angoisse l’air d’aisance et de supériorité de ceux qu’il regardait déjà comme des rivaux, et surtout les vives couleurs des joues de Rosarita, le pétillement de ses yeux et les mouvements irréguliers de son sein, qui soulevaient son rebozo. Elle semblait éprouver toute la joie naïve d’une coquette de village aux compliments d’un grand seigneur, alors qu’une voix intérieure l’avertit qu’ils sont mérités. De son côté, don Estévan lisait sur les traits expressifs de Tiburcio les sentiments de son cœur, et plus d’une fois il compara involontairement la mâle beauté de celui-ci avec la figure ordinaire du sénateur ; et comme s’il eût redouté de voir contrarier ses projets secrets, plusieurs fois ses sourcils se froncèrent avec humeur et ses yeux brillèrent d’un feu sombre.

Petit à petit, il cessa de prendre part à la conversation et parut plongé dans une méditation profonde. Insensiblement aussi, un air de mélancolie se peignit sur la figure de Rosarita. Quant au sénateur et à don Augustin, ils paraissaient goûter l’un et l’autre une imperturbable satisfaction.

En ce moment, Cuchillo, accompagné de Baraja, vint également présenter ses hommages aux maîtres de l’hacienda. Cette entrée produisit durant un moment une certaine confusion. Tiburcio parut alors prendre un parti désespéré, et, profitant de ce moment de trouble, il s’approcha de Rosarita.