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fait naître la révélation du secret qu’il avait reçu, si l’angoisse des richesses le torturait, ce n’était pas pour la richesse elle-même, c’était dans le but plus noble, plus conforme à son caractère plutôt poétique que positif, de se faire un pont d’or pour arriver jusqu’à la fille de don Augustin. Malheureusement, il ne pouvait plus se dissimuler qu’il ne fût pas le seul à connaître l’existence et la position du mystérieux placer.

Tout d’un coup l’expédition à laquelle il se trouvait involontairement joint ne put avoir d’autre but à ses yeux que la conquête de ce trésor, et l’homme qui partageait ce secret avec lui devait être parmi ceux enrôlés sous les ordres de celui qu’il avait entendu appeler don Estévan. Les questions ambiguës de Cuchillo, son signalement, ce cheval qui bronchait comme celui du compagnon et de l’assassin de son père adoptif, avaient commencé à faire luire un jour douteux dans l’obscurité de ses idées ; mais ce n’était pas assez. Comment arriver à s’éclairer complètement ?

Une autre incertitude plus douloureuse encore faisait battre son cœur. Quel accueil lui réservait doña Rosarita, à lui, pauvre campagnard, sans ressources, sans famille, soldat obscur d’une expédition hasardeuse, confondu dans la foule des aventuriers sans aveu que la cupidité poussait au milieu des déserts ? De tristes pressentiments de toute nature surgissaient dans son âme, quand la cavalcade dont il faisait si modestement partie atteignit les palissades de l’hacienda.

Les barrières étaient ouvertes pour les recevoir, et don Augustin lui-même vint au-devant des hôtes qu’il attendait. Il était encore dans la force de l’âge, et sa figure basanée respirait toute la franchise campagnarde et cet air de résolution habituel chez l’homme qui vit au milieu des dangers. Il avait revêtu une veste de batiste de Chine écrue, et sa chemise brodée, s’épanouissant sur une large poitrine, laissait deviner sous sa transparence une peau velue et d’un ton presque aussi foncé que sa figure.