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sur un cheval, l’autre, sur une mule. Le cheval et la mule étaient chacun dans son genre un des plus beaux échantillons de l’espèce ; l’un avec sa fière encolure, son large poitrail et son cou de cygne, l’emportait à peine sur la mule aux fines jambes, aux flancs arrondis et à la croupe luisante, qui marchait à ses côtés.

Le premier cavalier était le maître de l’hacienda ; son costume se composait d’un chapeau de paille de Guyaquil, d’une chemise de fine et blanche batiste, sans veste, et d’un pantalon de velours à boutons d’or, serré sur les hanches. Le second monté sur la mule, était le chapelain de l’hacienda, un révérend moine franciscain au froc bleu, à la ceinture de corde de soie, à la robe cavalièrement retroussée au-dessus de ses bottes de cheval armées de longs et sonores éperons ; un large feutre gris, assez arrogamment posé de côté, achevait de donner au franciscain une tournure plus soldatesque que monastique.

L’hacendero[1] semblait jeter un regard d’orgueil sur ces immenses richesses qui l’entouraient et qui, selon lui (et nous sommes fort de son avis), étaient bien supérieures à des lingots d’or entassés dans un coffre-fort. Quant au moine, il paraissait absorbé dans une préoccupation trop puissante pour faire attention au spectacle d’opulence grandiose que lui présentait la plaine.

« Par saint Julien, patron des voyageurs, disait don Augustin, depuis vingt quatre heures que vous êtes absent, je craignais, révérend père, que quelque jaguar ne vous eût englouti, vous et votre mule.

— L’homme propose et Dieu dispose, reprit le moine : je n’étais parti, il est vrai, que pour quelques heures, afin de donner la sépulture chrétienne au pauvre Joaquin, éventré par un taureau, et j’avais béni la terre où on l’avait enterré, quand un jeune homme à cheval arriva comme un éclair, la figure bouleversée et les traits en

  1. Propriétaire d’hacienda.