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sion andalouse, derama sal y perdona vidas[1], s’alliaient chez elle à la richesse du sang européen. Après un tel éloge, toute description deviendrait superflue. Elle était donc au fond de ces déserts comme la fleur du cactus, qui, selon une tradition, s’épanouit et meurt de onze heures à minuit, sous l’œil de Dieu seul, sans qu’il soit donné à aucun œil humain d’admirer ses couleurs, sans que l’odorat puisse se délecter à son parfum.

La plaine immense au milieu de laquelle était située l’hacienda del Venado avait un double aspect. Le côté de la plaine qui regardait la façade du bâtiment offrait seul des traces de grande culture. Des champs de maïs à perte de vue, de vastes plantations d’oliviers, révélaient la présence et les travaux de l’homme.

Derrière l’hacienda, à quelques centaines de pas du mur de clôture, le défrichement cessait, et des forêts encore vierges s’étendaient dans leur sombre et primitive majesté.

La partie cultivée était arrosée par un assez large cours d’eau. Pendant la saison sèche il coulait lentement, quoique en bouillonnant contre les pierres arrondies qui obstruaient son lit ; mais dans la saison des pluies ce cours d’eau se changeait en torrent impétueux, qui roulait ces pierres énormes comme la lame roule les galets sur la plage, inondait parfois la plaine et reculait chaque année les berges qui l’encaissaient.

Le plus puissant des chefs arabes, le plus riche des patriarches de l’ancien temps, ne compta jamais de plus superbes et de plus nombreux troupeaux que don Augustin Pena dans ses immenses pâturages.

Une heure avant le coucher du soleil, deux hommes traversaient la plaine pour gagner l’hacienda, l’un monté

  1. Locution intraduisible, mot à mot : répand du sel et épargne la vie. Cela vient du mot salero, qui sert à exprimer la superbe et voluptueuse allure des Andalouses en marchant.