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continua sa route vers l’hacienda. Le sénateur et don Estévan prirent les devants, tandis que Tiburcio, forcé de remonter en croupe derrière Cuchillo, car cette fois il ne restait pas de selle disponible pour lui, les suivait avec Baraja ; puis enfin venaient les trois domestiques. Les deux cavaliers cheminaient donc ensemble de nouveau : l’un, se rappelant qu’il avait acheté la révélation du val d’Or par la promesse solennelle de venger Arellanos ; l’autre, rêvant aux moyens de se défaire de Tiburcio à la première occasion.

Le jour allait faire place à la nuit, quand, après une journée de marche, les bâtiments de l’hacienda del Venado se dessinèrent dans le lointain, assombris déjà par une demi-obscurité. Pendant quelque temps encore la cavalcade suivit un chemin tracé dans les bois qui couvraient la plaine à droite et à gauche.

Au moment où la cavalcade quittait les bois pour entrer dans la plaine au milieu de laquelle s’élevait l’hacienda, deux hommes sortaient des fourrés, la carabine à la main. C’étaient les deux chasseurs qui avaient si brusquement pris congé le matin.

« Vous avez été dupe de quelque ressemblance, dit le plus âgé des deux chasseurs, c’est-à-dire le Canadien, à Dormilon.

— Je suis sûr que c’est lui, vous dis-je ; quinze ans n’ont rien changé à son air et à sa tournure. Le son de sa voix est resté le même qu’à l’époque où j’étais le miquelet Pepe le Dormeur. Mais depuis quinze ans mon oreille ni mes yeux n’ont rien oublié non plus. Ainsi, Bois-Rosé, vous pouvez être sûr de ce que je vous affirme.

— Au fait, dit Bois-Rosé (peut-être n’a-t-on pas oublié ce nom), on rencontre plus souvent l’ennemi que l’on fuit que l’ami que l’on cherche. »

En achevant ces mots, le chasseur canadien s’appuya d’un air mélancolique et pensif sur le long canon de sa carabine, et continua de suivre de l’œil les voyageurs,