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Il se rappela une halte dans la forêt, pendant une nuit de délices et d’angoisses. Tous dormaient, les hommes sur la mousse, la jeune fille sur une peau de tigre : lui seul veillait. Un chêne consumé ne jetait plus qu’une lueur mourante. La nature était silencieuse, mais non muette. Il aspirait, au milieu du silence, les émanations virginales qui semblaient monter doucement vers le ciel avec les parfums, ravivés par la nuit, des mousses, des feuilles et des sassafras. Il écoutait le souffle à peine formé d’une respiration de jeune fille qui se mariait aux harmonies des bois, éternel concert que la terre donne chaque nuit au monde étoilé.

Puis tout cela disparaissait aux yeux de Tiburcio : la jeune fille rentrait dans son habitation. C’était là qu’il passait une semaine entière, ivre d’amour, mais n’osant élever ses yœux jusqu’à celle qu’il aimait. Dans les fêtes des villages voisins de sa demeure, il l’avait revue cent fois sans être plus hardi, car il était pauvre ; mais aujourd’hui…

Tiburcio se voyait puissant et riche, et il espéra ; puis à son tour ses yeux s’appesantirent, et il s’endormit au milieu de ses beaux rêves. Était-il besoin de dire que la jeune fille que lui retraçaient ses souvenirs était celle de don Augustin Pena, et que l’habitation en question était l’hacienda del Venado ?

Au point du jour, tous les dormeurs furent éveillés par le bruit d’une clochette et le retentissement sur la terre des sabots d’une cavallada[1]. C’était Benito qui ramenait la troupe effrayée des chevaux, selon qu’il l’avait promis. Tous les voyageurs furent promptement sur pied ; mais ce fut en vain qu’ils cherchèrent les deux chasseurs : ils n’étaient plus là, et s’étaient éloignés sans que personne les eût entendus.

Les chevaux sellés, les mules chargées, la cavalcade

  1. Troupe de chevaux.