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l’autre des convives groupés autour du feu, avec une vivacité qui dénotait en lui une profonde habitude de scruter les hommes ou les objets dont il était entouré.

« Mais allons donc ! Dormilon, on dirait que vous avez honte d’approcher, cria le chasseur à son associé ; montrez donc que vous savez vivre. »

Le second • chasseur avança tout en murmurant des mots sans suite dont on n’entendit que ceux-ci :

« Certainement… mais ce que… Diable… des figures… »

Et, tout en s’approchant, il ramena sur son front un bonnet de fourrure qu’il portait, de manière à cacher ses yeux ; et d’un mouchoir à carreaux presque en lambeaux, dont il avait entouré la blessure de son cou, il se fit un masque qui ne permettait pour ainsi dire de voir de sa figure qu’une bouche armée de dents de nature à promettre un rude convive. Ensuite, comme si ces précautions ne suffisaient pas, ainsi qu’Ulysse chez Euryclée, il prit place au foyer de manière à rester caché dans l’ombre.

« Y a-t-il dans votre pays beaucoup d’hommes de votre force et de votre stature ? demanda le sénateur au robuste chasseur, qui mangeait et buvait comme deux hommes ordinaires.

— Au Canada, répondit celui-ci, personne ne me remarquerait ; demandez à mon camarade Dormilon.

— Sans doute, c’est la vérité, grommela son compagnon.

— Mais vous n’êtes donc pas du même pays ? reprit le sénateur.

— Dormilon est natif d’Es…

— De l’État de New-York, se hâta d’interrompre le chasseur, tandis que le Canadien le regardait d’un air étonné sans toutefois le démentir.

— Et quelle est votre profession ?

Coureur des bois, répondit le Canadien. C’est-à-dire que notre vie se passe à courir les bois sans autre but que