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nante du foyer. Un instant les yeux de don Estévan semblèrent vouloir le dévorer de leur regard. C’était, en effet, une physionomie remarquable, que celle de Tiburcio Arellanos.

Bien qu’elle n’offrît alors que l’expression d’une mélancolie tranquille, un nez aquilin aux ailes mobiles, des yeux noirs légèrement enfoncés sous d’épais sourcils, un teint olivâtre, mais que la noirceur de la barbe rendait d’un blanc mat, et par dessus tout l’extrême contractilité de sa lèvre supérieure, indiquaient de fougueuses passions.

Une chevelure châtain foncé plutôt que noire ombrageait son front. Il était grand et svelte ; mais ses larges épaules, ses reins étroits et cambrés, ses blanches et puissantes mains dénotaient une vigueur européenne, qui devait seconder, au besoin, les passions développées sous le ciel torride de la molle Amérique espagnole. La mélancolie qu’exprimaient ses nobles traits tempérait en ce moment l’énergie presque sauvage de ses yeux.

C’était bien là le fils d’une grande race, transplanté dans un pays à peine à moitié civilisé.

« C’est la figure et le port de Juan de Mediana, » se dit à part soi don Estévan Arechiza.

Mais, comme il lui importait sans doute de ne pas révéler le secret qu’il venait de découvrir, il cacha sous un masque de froideur des pensées que nul ne devait soupçonner.

Il y avait aussi un autre homme qui, à l’aspect de Tiburcio, vivement éclairé par la flamme, tressaillit et ferma les yeux comme si un éclair l’avait ébloui. Il allait s’élancer vers lui quand un second coup d’œil le détrompa sans doute, car il se rassit en souriant de sa méprise.

Cet homme était le plus âgé et le plus robuste des deux chasseurs. Aux regards dont il l’enveloppait, il était facile cependant de voir que le premier mouvement de sympathie que lui avait fait éprouver Tiburcio ne se démentait pas. Puis ses yeux allaient et venaient de l’un à