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Cette posture, en élargissant la base du corps, leur donnait plus de solidité pour recevoir au besoin le choc impétueux d’un de leurs adversaires, quoique à vrai dire l’un des chasseurs parût d’une vigueur à recevoir debout, sans broncher, le choc d’un lion de l’Atlas. Puis, en se tournant le dos, leurs yeux pouvaient embrasser tout l’espace que les tigres devaient parcourir, et leur éviter ainsi une surprise dangereuse.

Au bout de quelques secondes, le groupe haletant des spectateurs put voir se glisser à travers les arbres deux corps élancés, aux prunelles flamboyantes, tantôt bondissant, tantôt rampant, et dont l’aspect, à moins d’y être accoutumé, devait causer un frisson de terreur à l’homme le plus brave. Souples comme les lianes des bois, les deux animaux présentaient en s’avançant quatre points lumineux, quatre globes de feu toujours en mouvement, semblables aux lucioles que la brise des forêts agite sur les feuilles des arbres d’Amérique.

Les chasseurs, cachés par le vallon, ne pouvaient rien voir encore ; le seul avertissement qu’ils reçussent de l’approche de leurs ennemis était un sourd frémissement de colère que les tigres laissaient échapper à la vue et à l’odeur des hommes, et des tressaillements de volupté qu’excitait en eux le voisinage de la source limpide de la Poza. En dépit du péril qui approchait, aucun des deux chasseurs ne fit de mouvement, et une couleuvrine de bronze sur son affût n’est pas plus ferme que le canon de leur carabine ne le paraissait entre leurs mains.

Et cependant il leur fallait un courage à toute épreuve, ou une aveugle confiance dans leur adresse, pour leur faire accepter ainsi sans frémir, au fond d’un étroit espace resserré par des berges escarpées, un combat corps à corps, sans espoir de fuite, avec deux adversaires que la soif rendait furieux, et dont une blessure, si elle n’était mortelle, devait décupler la fureur.

Au fond de ce vallon, il fallait vaincre ou mourir.