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tit vallon au centre duquel se trouvait l’abreuvoir, les hurlements d’allégresse cessèrent ; c’était signe que les deux animaux altérés faisaient le tour de la clairière pour gagner la citerne. Les voyageurs retenaient leur souffle, et le silence le plus profond régnait dans les bois, que la lune éclairait de sa lumière tranquille. Aussi purent-ils entendre au loin le moindre craquement des buissons que froissaient les deux bêtes féroces en rampant vers le vallon ; car, bien que le feu fût éteint, leur instinct les avertissait néanmoins de la présence de l’homme. Le chasseur américain ne s’était pas trompé en disant que, pour le moment, le plus impérieux besoin à satisfaire était pour elles une soif dévorante.

On sait jusqu’à quel point la petitesse des glandes salivaires enflamme la soif chez la race féline ; mais une prudence cauteleuse est aussi le trait distinctif de cette race ; et les deux jaguars, dévorés du besoin de boire, semblaient vouloir éviter le combat pour l’engager avec plus d’avantage une fois qu’ils auraient apaisé le feu qui brûlait leur gosier. Qu’ils essayassent après de satisfaire leur faim, c’était en effet un point qui n’admettait point de doute, et, malgré l’imperturbable assurance avec laquelle un des chasseurs étrangers avait affirmé que les deux tigres n’auraient bientôt plus ni faim ni soif, c’était une redoutable épreuve à subir.

Malgré cette position critique pour les spectateurs, nous devons cesser de nous occuper d’eux un instant pour reporter notre attention sur les deux chasseurs, bien plus exposés qu’eux et par conséquent plus dignes d’intérêt.

La lune n’était pas encore assez élevée dans sa course pour jeter ses rayons jusqu’au fond du petit vallon où ils étaient descendus, et, en comparaison de la vive lumière qui brillait tout alentour, ce fond ténébreux paraissait encore plus noir. À peine l’œil humain eût-il pu distinguer les deux chasseurs, la carabine à la main, le couteau entre les dents, un genou en terre, et adossés l’un à l’autre.