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le bruit des naseaux qui aspiraient avec délices les fraîches émanations de la citerne.

Les voyageurs jetèrent autour d’eux un regard d’angoisse, mais, pendant que les cavités du bois et de la plaine répétaient encore les rugissements des jaguars, les deux chasseurs s’étaient éloignés, et on n’aperçut bientôt que deux corps qui rampaient le long des arbres de la Poza. Les canons des carabines américaines jetèrent encore un éclair sous les rayons de la lune, puis tout disparut dans le creux de l’étroit vallon. C’est sans doute un fort beau spectacle qu’un combat de taureaux, quand un de ces animaux bondit dans le cirque sous le feu des banderillas, et que, les cornes baissées, les yeux étincelants et creusant la pierre du pied, il mugit à l’instant de se précipiter sur le matador ; mais si les spectateurs n’étaient séparés de l’animal en fureur que par une simple barrière, nul doute que ce spectacle ne perdît pour eux toute sa beauté.

Un combat de tigres et d’hommes devait être, pour les Romains, un spectacle plus attrayant encore qu’un combat de taureaux de nos jours. Mais qui peut douter que l’affluence des spectateurs au cirque n’eût été bien moins grande, si des barrières de fer et des gradins élevés n’eussent mis les assistants hors des chances du combat à mort des hommes et des tigres ?

Rien qu’un étroit espace, le tiers de celui que peut mesurer un jaguar dans son élan, et une ceinture d’arbres seulement, séparaient ici les voyageurs du théâtre de la lutte prochaine entre les deux chasseurs et le couple féroce. Qu’un des acteurs humains vînt à manquer son rôle, et les spectateurs étaient obligés de le remplir à sa place. C’est une situation exceptionnelle, fertile en émotions, et dont nous pourrions parler savamment et par expérience, si nous ne l’avions déjà fait ailleurs[1].

Au moment où les chasseurs disparaissaient dans le pe-

  1. Voyage et aventures au Mexique, chez Charpentier, 1847.