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geurs, et je vous ai appelé près de moi, dit le grand chasseur.

— Vous saviez donc déjà que nous étions là ? demanda Baraja.

— Sans doute ; il y a deux heures que nous vous épions involontairement. Ah ! je connais des pays où les voyageurs qui ne prendraient pas plus de précautions que vous auraient bien vite le crâne dégarni de sa peau. Mais allons, Dormilon, à la besogne.

— Et si les jaguars tombent sur nous ? dit le sénateur.

— Ils s’en garderont bien. Le premier de leurs besoins à satisfaire à présent est la soif ; vous n’allez pas tarder à les entendre hurler de joie de ne pas voir leur abreuvoir rougi par la flamme qui les effraye plus que la présence de l’homme. Ils ne songeront d’abord qu’à boire.

— Ces tigres sont bien exaspérés, je le crains, dit Baraja. Mais qu’allez-vous faire ?

— Ce que nous allons faire ! reprit le chasseur appelé Dormilon ou le Dormeur : une chose fort simple. Nous allons nous poster près de la citerne ; les deux jaguars arriveront ; mon associé, que voici, se chargera de l’un, moi de l’autre, et je vous réponds que, seulement le temps de les viser à la clarté de la lune, ils n’auront plus ni faim ni soif.

— Ah ! ça vous semble simple ! s’écria Cuchillo étonné en effet de la simplicité de cette combinaison.

— Simple comme bonjour, dit le Dormeur. Mais tenez, que vous disais-je ? »

Deux rugissements égaux, et partant cette fois-là du même point, résonnèrent à la fois en notes stridentes qui semblaient arrachées aux plus puissants instruments de cuivre.

Le couple féroce saluait le retour des ténèbres d’un chant de joie sauvage. Les auditeurs de ce concert nocturne purent entendre, mêlé à cette terrible harmonie,