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le groupe tout entier, et s’arrêta même avec quelque complaisance sur la figure de Tiburcio.

Que le diable emporte votre feu ! dit-il d’un ton brusque, mais qui n’excluait pas la bonhomie. Vous nous effrayez depuis deux heures les deux plus beaux tigres mouchetés qui aient jamais rugi dans ces solitudes.

— Effrayer ! interrompit Baraja ; caramba, il nous le rendent bien !

— Vous allez m’éteindre ça, j’espère, reprit le chasseur.

— Éteindre notre foyer, notre seule sauvegarde ! s’écria le sénateur ; y pensez-vous ?

— Votre seule sauvegarde ! répéta l’Américain avec étonnement… Et il compta du doigt autour de lui… Quoi ! reprit-il, huit hommes n’ont qu’un feu pour sauvegarde contre deux pauvres tigres ! vous voulez vous moquer de moi.

— Qui êtes-vous ? demanda impérieusement don Estévan.

— Un chasseur, vous le voyez.

— Chasseur de quoi ?

— Mon compagnon et moi nous chassons au castor, au loup, au tigre et à l’Indien, c’est selon le cas.

— C’est le ciel qui vous envoie pour nous délivrer, s’écria Cuchillo.

— Pas du tout, reprit le chasseur, à qui la figure de Cuchillo déplaisait sans doute ; nous avons trouvé, mon camarade et moi, à environ deux lieues d’ici, un puma et un couple de jaguars qui se disputaient le corps d’un cheval mort…

— Le mien, interrompit Tiburcio.

— Le vôtre ! pauvre jeune homme ! reprit le chasseur d’un ton de rude cordialité ; eh bien, je suis aise de vous voir ici, car j’ai pensé que le maître de ce cheval n’était plus parmi les vivants. Or, continua l’Américain, nous avons tué le puma, et suivi jusqu’ici la trace des deux ti-