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cée comme la première, s’éleva lentement au milieu du silence, et dans une direction opposée.

« Je le répète, reprit Benito, les chacals n’auraient pas tant d’audace que de se trahir ainsi ; ce doivent être deux créatures d’une autre espèce qui ne redoute pas les jaguars.

— De qui voulez-vous parler ? demanda Tiburcio surpris.

— De deux créatures humaines, de deux chasseurs américains, je le parierais.

— Deux chasseurs du Nord, dites-vous ?

— Oui. Il n’y a guère qu’eux assez courageux pour chasser ainsi ces dangereux animaux la nuit. Ceux-là se sont séparés sans doute, et se servent d’un signal convenu pour se rejoindre dans les ténèbres. »

Cependant les deux chasseurs, si c’en était toutefois, devaient avancer avec bien des précautions, car on n’entendait craquer ni le moindre branchage ni la moindre feuille.

« Holà, hé, du foyer ! cria tout à coup dans les ténèbres une voix semblable à celle des matelots qui se hèlent la nuit, nous accostons[1], n’ayez pas peur et ne faites pas feu. »

La voix avait un accent étranger qui confirmait en partie la supposition de l’ancien vaquero ; mais l’aspect de l’homme qui se montra achevait d’en faire une certitude.

Ce n’est pas ici le moment de décrire la stature herculéenne, le bizarre accoutrement du nouveau venu : il figurera d’une manière trop marquante dans ce récit pour que nous n’ayons pas plus tard l’occasion d’en faire le portrait. Il nous suffira de dire que c’était une sorte de géant armé d’une longue et lourde carabine dont le canon épais était à six pans.

L’œil vif du chasseur américain eut bientôt parcouru

  1. Expression de marin pour dire : nous approchons.