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étouffés, des rauquements graves ou des notes aiguës, que les deux animaux échangeaient de deux directions différentes. Cet effrayant orchestre éveillait dans le bois ou dans les plaines des échos sourds ou vibrants qui semblaient peupler les solitudes environnantes d’une douzaine de ces terribles hôtes. Chaque rugissement retentissait dans la poitrine des voyageurs.

Le fusil du sénateur tremblait dans ses mains comme le roseau que le vent agite ; Baraja se recommandait à tous les saints de la légende espagnole ; Cuchillo serrait sa carabine à la briser, et Benito, avec le fatalisme de l’Arabe, attendait froidement le dénoûment de ce drame, dont les deux sauvages acteurs commençaient déjà le prologue par d’affreux rugissements.



CHAPITRE VI

LES TUEURS DE TIGRES.


À la lueur projetée par le feu que Benito entretenait parcimonieusement, on pouvait voir don Estévan suivre des mouvements de son corps la direction où se faisaient entendre les rugissements de gauche. Il avait l’air calme d’un chasseur qui guette le passage d’un chevreuil. Tiburcio, à l’aspect du chef espagnol, sentit s’éveiller en lui cette exaltation que produit le danger sur certaines organisations énergiques ; mais son poignard était la seule arme qu’il possédât.

Il jeta un coup d’œil sur le fusil à deux coups dont le sénateur devait faire un usage peut-être plus funeste à ses compagnons qu’aux jaguars. À en juger par le tremblement convulsif de sa main, son coup d’œil devait être assez obscurci pour se tromper de but.