Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gauche ; venez au milieu de nous, et nous vous ferons un rempart de nos corps. »

La contenance effrayée du sénateur offrait un contraste frappant avec la contenance calme du chef espagnol.

« C’est un bon conseil à suivre, s’écria Tragaduros ; écoutons ce fidèle serviteur. »

Et il se levait pour mettre à profit le dévouement du vieux domestique ; mais don Estévan l’arrêta.

« Ce ne sont donc pas des contes de chasseurs faits pour effrayer les novices, que ceux dont vous entretenez vos éditeurs ? dit-il à Benito.

— Seigneur Dieu ! c’est la vérité ! repris celui-ci.

— Il y a donc un danger réel ?

— Inévitable.

— Eh bien ! s’il en est ainsi, restons à notre place !

— Y pensez-vous ? interrompit Tragaduros.

— Le devoir d’un chef est de protéger ses soldats, et non de se faire protéger par eux, répliqua fièrement Arechisa, et voici ce que nous allons faire. Si le danger vient de ce côté, puisque c’est à droite et à gauche que nous avons entendu ces hurlements, je reste ici le fusil à la main pour attendre l’ennemi et protéger nos derrières. Avec un œil sûr, un cœur ferme et deux balles dans chaque canon, un jaguar n’est pas à craindre. Vous, seigneur, allez faire à l’avant-garde ce que je ferai à l’arrière, et, si votre… prudence exige que vous vous appuyiez sur nos hommes, je laisse ce soin à votre discrétion. »

Ce compromis, qui sauvait les apparences, était trop du goût du sénateur pour qui ne l’acceptât pas. De fait, Tragaduros était assez peu soucieux d’exposer en sa personne le propriétaire futur d’un demi-million de dot, et s’empressa d’aller se joindre au groupe réuni près du foyer, sous prétexte de protéger l’avant-garde.

Ces dispositions étaient à peine prises qu’un formidable dialogue sembla s’établir entre le groupe affamé et altéré des jaguars. C’étaient tantôt des grondements