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Donc, sur huit que nous sommes ici, il est probable qu’il n’y en aura que six qui verront se lever l’aurore prochaine.

— Que la foudre me consume si j’ai jamais trouvé un compagnon d’infortune plus incommode que celui-là ! dit en gémissant Cuchillo, qui, malgré sa fureur, n’était plus disposé à diminuer la proportion des victimes exposées aux jaguars, et qui respectait désormais la vie du vieux vaquero comme celle d’un fétiche.

— C’est égal, dit Baraja, tant que je verrai ces chevaux groupés autour de nous, j’aurai bon espoir.

— C’est l’unique chance qui nous reste, » hasarda un des compagnons de Benito qui, connaissant sa longue expérience, écoutait ses paroles comme autant d’oracles.

Malheureusement cette dernière chance ne devait pas subsister longtemps.

À un hurlement qui sembla partir des confins indécis des ténèbres de la nuit et de la zone lumineuse qui éclairait la Poza, les chevaux groupés près de la clarté du foyer se débandèrent, saisis d’une folle terreur.

La terre trembla sous leurs sabots, les broussailles craquèrent avec un bruit formidable, et tous se perdirent bientôt sous les arches sombres de la forêt, que les rayons de la lune éclairaient de lueurs brisées par le feuillage. C’était signe que, devant le péril qui grossissait, les animaux, compagnons de l’homme, perdaient toute confiance dans sa protection, et qu’ils n’attendaient plus de salut que de la vigueur de leurs jarrets, décuplée par une frayeur sans bornes.

Au moment où la dernière ressource sur laquelle les voyageurs pussent compter vint à s’évanouir, Benito se leva, et, traversant l’espace qui séparait le groupe dont il faisait partie de don Estévan et du sénateur assis à l’écart, il s’approcha d’eux.

« La prudence exige, dit-il, que vous ne restiez pas ainsi loin de nous ; on ne sait ce qui peut arriver. Vous l’avez entendu, le danger nous environne à droite et à