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— Peut-être, reprit solennellement Benito, peut-être a-t-il déjà goûté de la chair humaine ; et ces animaux, comme je vous le disais tout à l’heure, étant fort sensuels, il dédaignera la chair d’un cheval pour celle de l’un de nous, ce dont, à tout prendre, on n’a pas trop le droit de le blâmer.

— C’est rassurant ! interrompit Cuchillo.

— Certainement, car il se contentera d’un seul, à moins… »

Benito paraissait être l’homme des réticences effrayantes ; aussi nul n’osa plus l’interroger pendant une minute. Cependant Cuchillo, impatienté de le voir rester silencieux, s’écria :

« Achevez donc, de par tous les diables !

— Je voulais dire, répondit l’ancien vaquero, à moins qu’il n’ait sa femelle avec lui, auquel cas… Mais à quoi bon vous effrayer ?

— Que le tonnerre vous brûle ! cria Baraja. Parlez donc !

— Auquel cas il se croirait obligé de faire à sa compagne la galanterie d’un second d’entre nous, acheva Benito comme à regret.

— Corbleu ! dit Baraja avec ferveur, je prie Dieu que ce tigre-là soit célibataire. »

Et il jeta convulsivement dans le foyer une brassée de branches mortes.

« Doucement donc, répéta Benito, nous avons encore au moins six heures de nuit, et pas pour une heure de bois sec devant nous. »

En disant ces mots, il arracha au brasier une partie des aliments qu’y avait jetés Baraja.

« Ainsi donc nous avons trois chances, continua-t-il en se rasseyant comme un homme décidé à subir un sort inévitable : la première, que ce tigre n’ait pas trop soif ; la seconde, qu’il se contente d’un des chevaux ; et la troisième, que ce soit un tigre garçon, comme dit l’ami que voilà. »