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tretenir une heure de plus la flamme protectrice qui brillait dans le foyer.

On conçoit que don Estévan avait remis à une autre occasion d’interroger Tiburcio. Celui-ci cependant n’eût pas attendu plus longtemps pour remercier l’Espagnol ; mais il ignorait que ce fût lui qui avait donné ses ordres à Cuchillo. Plus d’une fois, néanmoins, don Estévan jeta à la dérobée, au milieu de ce terrible moment, un regard observateur sur Tiburcio ; mais, par l’effet du hasard, la figure du jeune homme, constamment restée dans l’ombre, demeurait invisible pour lui. Tiburcio, de son côté, sentait aussi que le moment eût été mal choisi pour échanger des compliments de courtoisie avec le chef du bivac.

Le silence continuait à régner au loin. Don Estévan et le sénateur avaient regagné leur lit de camp, sur lequel ils étaient assis le fusil à la main, et il ne resta plus autour de Benito que ses deux camarades, Baraja, Cuchillo et Tiburcio. Les chevaux continuaient néanmoins à se grouper le plus près possible du foyer, et leur présence à côté des hommes, le souffle bruyant de leurs naseaux, indiquaient que, pour être plus éloigné, le danger n’était pas encore dissipé.

Quelques minutes s’écoulèrent ainsi sans que le son d’une voix humaine troublât la morne tranquillité de la forêt.

Au milieu du plus grand danger, il y a toujours dans la voix de l’homme une harmonie consolante qui semble en diminuer l’horreur ; aussi l’un des domestiques pria le vaquero de continuer son récit.

« Je vous disais donc, reprit Benito, que le jaguar bondissait à la poursuite de mon cheval, et que je n’avais pas, comme ce soir, un feu clair pour l’éloigner. Tout à coup j’aperçus de nouveau, à la clarté de la lune, le cheval lui-même qui galopait de mon côté ; mais c’était la dernière course qu’il dût faire, à en juger par le terrible cavalier qu’il portait.

« Le jaguar, cramponné sur son dos, la tête collée sur