« À moins que la soif ne l’étrangle, reprit Benito, le démon des ténèbres n’osera franchir ce cercle de feu. Cependant je dois dire que la soif l’étrangle souvent ; alors…
— Alors ? interrompit un des interlocuteurs d’un ton d’anxiété.
— Alors, continua le vaquero, alors il ne connaît ni feu ni flammes. Aussi, à moins d’être bien décidé à lui défendre l’approche de l’eau, le plus prudent est de s’écarter de son chemin. Ces animaux-là ont toujours plus soif que faim.
— Et quand ils ont bu ? demanda à son tour Baraja, dont la flamme éclairait la contenance peu rassurée.
— Ils cherchent à apaiser leur faim. Ces jaguars sont fort sensuels. C’est du reste bien naturel, ce me semble. »
Un second rugissement, mais qui paraissait évidemment plus éloigné, vint prouver à l’auditoire de Benito, terrifié par sa théorie des tigres, que celui-là du moins n’éprouvait pas la soif à son dernier paroxysme. Tout le monde gardait un profond silence, interrompu seulement par le pétillement des broussailles que Baraja jetait avec profusion dans le brasier.
« Doucement, corbleu ! s’écria Benito ; si vous consommez nos provisions de bois, vous chargerez-vous d’en aller chercher de nouvelles dans la forêt ?
— Non, de par tous les diables ! répliqua l’aventurier.
— Alors, tâchez de les faire durer, pour que nous ne nous trouvions pas dans les ténèbres à la merci du jaguar, dont deux heures de plus d’abstinence auront redoublé la soif. »
Si Benito eût pris à tâche d’effrayer ses auditeurs, il eût certes parfaitement réussi ; car tous jetaient un regard d’angoisse sur le peu de bois mort qui restait amoncelé à la portée de leur main ; mais, en dépit de ses réponses railleuses, il y avait dans la voix de l’ancien vaquero quelque chose de solennel qui portait en soi une conviction profonde. À peine y avait-il assez de bois pour en-