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l’oreille avec anxiété, mais je n’entendis plus rien. Ce ne fut qu’au bout d’un quart d’heure, qui me sembla bien long, que le vent m’apporta un effroyable rugissement…

Un tressaillement d’effroi interrompit le narrateur :

« Virgen santa ! s’écria-t-il, c’était comme celui-ci ! »

Un rauquement formidable venait en effet d’éclater non loin de la Poza, et de couper la parole à Benito. Un silence profond lui succéda, pendant lequel un souffle de terreur sembla planer dans l’atmosphère au-dessus de la tête des hommes et des animaux.



CHAPITRE V

OÙ BENITO LAISSE PERCER QUELQUE PARTIALITÉ POUR LES JAGUARS.


Le vieux pâtre aurait bien pu reprendre son récit sans que personne l’interrompît, mais aussi avec la certitude de ne pas être écouté.

L’imminence d’un danger tout à l’heure si éloigné, le voisinage de la bête féroce glaçaient le cœur et paralysaient la langue des auditeurs du vaquero. Celui-ci se taisait du reste comme les autres, en paraissant réfléchir à ce qu’exigeait cette terrible circonstance, quand l’Espagnol rompit le silence profond qui régnait dans le bivac.

« Prenez vos armes ! s’écria don Estévan.

— C’est inutile, seigneur maître, reprit le conteur, à qui son expérience du danger ne tarda pas à rendre tout son sang-froid. Ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de ne pas laisser éteindre le foyer. »

Un fagot de branches sèches, qu’il y jeta en disant ces mots, répandit tout alentour une flamme éblouissante dont l’éclat enveloppa tous les assistants d’une nappe de lumière.