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sera d’autant plus facile à surveiller qu’il sera plus près de nous : car il est décidé, je pense, à être des nôtres.

— Il a demandé vingt-quatre heures pour réfléchir.

— Croyez-vous qu’il sache quelque chose ?

— Je le crains, dit Cuchillo, d’un air lugubre ; car un mensonge ne lui coûtait rien pour rendre suspect à l’Espagnol celui dont il avait juré la mort. En tous cas, ce ne serait qu’un prêté rendu.

— Que voulez-vous dire ?

— Que ma conscience m’assure qu’elle serait parfaitement tranquille si… Eh ! parbleu ! ajouta-t-il brusquement, si j’envoyais ce jeune homme débrouiller sa parenté dans l’autre monde.

— À Dieu ne plaise ! s’écria vivement don Estévan ; d’ailleurs, j’admets qu’il sache tout : je commande à cent hommes et il est seul, ajouta-t-il pour désarmer Cuchillo, dont il n’attribuait qu’à la cupidité le désir de se défaire de Tiburcio. N’ayez aucun souci de lui ; moi, je me tiens pour satisfait, et vous devez faire comme moi.

— Satisfait… satisfait, grommela Cuchillo comme un dogue que la voix de son maître réduit à se contenter de gronder au lieu de déchirer ; moi, je ne le suis guère… mais plus tard…

Je verrai ce jeune homme, interrompit l’Espagnol, qui reprit le chemin du bivac dont il s’était éloigné, tandis que Cuchillo le suivait en se disant d’un ton sérieux :

— Que diable pouvait-il avoir à me demander s’il y a longtemps que je possède mon cheval ?… Voyons, l’animal a bronché, c’est à ce moment qu’il m’a interrogé, qu’il m’a menacé… Je n’y comprends rien, mais je me défie de ce que je ne comprends pas. »

Quand Arechiza et Cuchillo regagnèrent l’endroit de la halte, une certaine agitation y régnait. Les chevaux, dispersés de part et d’autre, s’étaient réunis non loin du campement, tout alentour de la jument capitana, et la flamme du foyer éclairait de lueurs fauves leurs yeux