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qu’en présence des esprits de l’autre monde les animaux éprouvaient un frémissement pareil à celui qui venait de s’emparer de son cheval. Mais don Rafael était peut-être de ces cœurs forts dont parlait l’Indien, que la crainte peut visiter sans les dominer jamais, et il restait au poste qu’il avait choisi, sans témoigner autrement ses appréhensions que par les aspirations précipitées de ses lèvres contre son cigare, dont le feu brillait dans les ténèbres.

Pendant ce temps, l’Indien et le nègre, troublés dans leurs invocations au génie de la cascade, remontaient l’escarpement du ravin en se faisant péniblement jour à travers la végétation qui l’obstruait.

L’Indien exhalait son dépit en menaces contre l’intrus dont la présence avait sans doute empêché l’apparition de l’esprit qu’il invoquait. Clara jurait aussi ; mais, au fond de son cœur, il était moins contrarié qu’il n’affectait de le paraître.

« C’est donc au seul moment où la lune nouvelle se lève qu’apparaît la Sirène aux cheveux tordus ? dit le nègre en se tenant sur les talons de son compagnon.

— Sans doute, répondit Costal ; il n’y a qu’un instant, dont il faut se hâter de profiter ; mais, s’il se trouve quelques profanes dans le voisinage, et par profane j’entends un blanc, l’esprit refuse de se montrer.

— Peut-être a-t-il peur de l’inquisition ? » reprit le nègre.

Costal haussa les épaules.

« Vous êtes un niais, ami Clara. Que diable voulez-vous que le puissant esprit des eaux ait peur de vos moines à longues robes ? Ce sont eux plutôt qui trembleraient en sa présence et se prosterneraient la face contre terre.

— Dame ! si l’esprit a peur d’un seul blanc, et qu’à cause de lui il n’ose se montrer, à plus forte raison aurait-il crainte d’une foule de moines qui, il faut l’avouer, sont furieusement laids.

— Puisse un carreau du ciel couper en deux le mé-