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prendre aussi sérieusement une plaisanterie dont l’unique but était de lui faire comprendre la nécessité impérieuse de se séparer l’un de l’autre, dans l’intérêt même de celui qui restait en arrière. L’intention du dragon, en effet, était de prendre les devants et d’envoyer de la prochaine hacienda à l’étudiant un cheval de rechange avec quelques provisions et de l’eau.

Don Cornelio jeta autour de lui un regard d’angoisse, et, à l’aspect de la solitude profonde qui l’environnait, comme aussi de la disproportion de ses forces avec celles du robuste capitaine, il s’écria, sans pouvoir dissimuler un frémissement nerveux :

« J’espère, seigneur capitaine, que vous n’en êtes pas arrivé à ce point de perversité. Quant à moi, si j’étais à votre place, monté sur un cheval de la vigueur du vôtre, je piquerais des deux jusqu’à l’hacienda de las Palmas ou de San Salvador, sans m’arrêter, et de là j’enverrais du secours au compagnon de route que j’aurais laissé derrière moi.

— C’est votre avis ?

— Je n’en saurais avoir d’autre.

— Eh bien donc, s’écria le dragon, je vais suivre votre conseil, car, à dire vrai, je me faisais quelque scrupule de vous fausser sitôt compagnie. »

Don Rafaël tendit la main à l’étudiant.

« Seigneur Lantejas, continua-t-il, nous nous quittons amis, puissions-nous ne nous rencontrer jamais comme ennemis ! qui peut prévoir l’avenir ? Vous semblez disposé à voir de mauvais œil les tentatives d’émancipation d’un pays asservi depuis trois cents ans, et moi peut-être lui offrirai-je mon bras et au besoin ma vie, pour l’aider à conquérir sa liberté. Adieu, je n’oublierai pas de vous envoyer des secours. »

En disant ces mots, l’officier serra vigoureusement les doigts frêles de l’étudiant en théologie, rendit la main à son cheval, sans avoir besoin de lui faire sentir l’éperon,