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L’Espagnol s’interrompit. Il crut s’apercevoir que, bien que dans ses promenades il mesurât très-exactement ses pas à la distance convenable qu’il voulait maintenir entre lui et les cadavres, cette distance s’amoindrissait à chaque tour.

Il se mit alors à compter ses pas, et, quoiqu’il en fît exactement le même nombre à chaque allée et venue, il se trouvait toujours plus près de l’un des cadavres qu’il ne croyait l’être. Il fallait que le cadavre eût marché ou que la sentinelle se trompât. Le dernier cas était le plus probable. Cependant l’Espagnol s’approcha du mort pour l’examiner. Il était étendu sur le côté, et une plaie sanglante marquait seule la place qu’avait occupée son oreille. Cet examen rassura le soldat devenu tout à fait certain que, puisque le mort (c’était un Indien) n’avait pu s’avancer tout seul, il devait s’être trompé lui-même, il avait bien eu la tentation de lui passer sa baïonnette à travers le corps ; mais un cadavre acquiert dans l’ombre de la nuit une certaine solennité imposante qui repousse la profanation, et la sentinelle reprit sa promenade dans le même sens qu’auparavant, sans avoir cédé à sa tentation.

« Si des cadavres pouvaient aller, pensa l’Espagnol, je dirais presque que ceux-ci ont des allures suspectes j’en avais compté neuf, j’en trouve dix, et on penserait, le diable m’emporte ! que ce gaillard-là, le factionnaire faisait allusion au mort suspect, a envie de causer avec moi pour se distraire. Corbleu ! les chansons de ces vivants là-bas ne sont pas gaies, mais je les préfère encore au silence de ces carcasses. Écoutons. »

Le cantique continuait :

« Élevez vos mains pendant la nuit vers le sanctuaire et bénissez le Seigneur. Sa vérité sera votre bouclier, vous ne craindrez pas les terreurs de la nuit. »

Quoique ces psaumes parussent au factionnaire plus joyeux que des chansons à boire, comparativement au