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Marie-Anne et s’adresser uniquement à elle, paraissant désormais compter Maurice pour rien.

— Car il y a eu malentendu, mademoiselle, reprit-il, n’en doutez pas… Les Sairmeuse ne sont pas ingrats… À qui fera-t-on entendre que nous ayons pu offenser volontairement un… ami dévoué de notre famille, et cela au moment même où il nous rendait le plus signalé service ! Un gentilhomme tel que mon père et un héros de probité tel que le vôtre sont faits pour s’estimer. J’avoue que, dans la scène d’hier, M. de Sairmeuse n’a pas eu le beau rôle, mais ma démarche d’aujourd’hui prouve ses regrets…

Certes, ce n’était plus là le ton cavalier qu’avait pris Martial quand, pour la première fois, il avait abordé Marie-Anne sur la place de l’église.

Il s’était découvert, il restait à demi-incliné, et il s’exprimait d’un ton de respect profond, comme s’il eût eu devant lui une fière duchesse, et non l’humble fille de ce « maraud » de Lacheneur.

Était-ce simplement une manœuvre de roué ? Subissait-il, sans trop s’en rendre compte, l’ascendant de cette jeune fille si étrange ?… C’était l’un et l’autre. Mais il lui eût été difficile de dire où cessait le voulu et où commençait l’involontaire.

Cependant il continuait :

— Mon père est un vieillard qui a cruellement souffert… L’exil, loin de la France, est lourd à porter !… Mais si les chagrins et les déceptions ont aigri son caractère, ils n’ont pas changé son cœur. Ses dehors impérieux, hautains, souvent âpres, cachent une bonté que j’ai vue souvent dégénérer en faiblesse. Et, pourquoi ne pas l’avouer ? le duc de Sairmeuse, sous ses cheveux blancs, garde les illusions d’un enfant… Il se refuse à reconnaître que le monde a marché depuis vingt ans… On l’a abusé par des rodomontades ridicules… Enfin, nous étions encore à Montaignac que déjà les ennemis de M. Lacheneur avaient trouvé le secret d’indisposer mon père contre lui…