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Ainsi pensait Martial, et lui, le grave homme d’État, il se disait avec rage :

— Aimer et être aimé !… tout est là ! Le reste… niaiserie.

Positivement il avait essayé de se donner de l’amour pour Mme Blanche. Il avait cherché à retrouver près d’elle les chaudes sensations qu’il avait éprouvées en la voyant à Courtomieu. Il n’avait pas réussi. On a beau tisonner des cendres froides, on n’en fait point jaillir d’étincelles. Entre elle et lui se dressait un mur de glace que rien ne pouvait fondre, et qui allait gagnant toujours en hauteur et en épaisseur.

— C’est incompréhensible, se disait-il, pourquoi ?… Il y a des jours où je jurerais qu’elle m’aime… Son caractère, si irritable autrefois, est entièrement changé ; elle est devenue la douceur même… Quand j’ai pour elle une attention, ses yeux brillent de plaisir…

Mais c’était plus fort que lui…

Ses regrets stériles, les douleurs qui le rongeaient, contribuèrent sans doute à l’âpreté de la politique de Martial.

Il sut du moins tomber noblement.

Il passa, sans changer de visage, de la toute-puissance à une situation si compromise qu’il put croire un instant sa vie en danger.

Au fond, que lui importait.

Voyant vides ses antichambres encombrées jadis de solliciteurs et d’adulateurs, il se mit à rire, et son rire était franc.

— Le vaisseau coule, dit-il, les rats sont partis.

On ne le vit point pâlir quand l’émeute vint hurler sous ses fenêtres et briser ses vitres. Et comme Otto, son fidèle valet de chambre, le conjurait de revêtir un déguisement et de s’enfuir par la porte du jardin :

— Ah ! parbleu, non ! répondit-il. Je ne suis qu’odieux, je ne veux pas devenir ridicule !…

Même on ne put jamais l’empêcher de s’approcher d’une fenêtre et de regarder dans la rue.