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Elle se releva, mais ses jambes tremblaient et la soutenaient à peine ; elle fut obligée de s’accoter contre la cloison.

Le cœur était resté ferme, implacable ; la chair défaillait.

C’est que jamais son imagination n’avait pu concevoir un spectacle tel que celui qu’elle venait de voir.

Elle savait que le poison donne la mort ; elle ne soupçonnait pas ce qu’est l’agonie du poison.

Maintenant elle ne songeait plus à augmenter les angoisses de Marie-Anne, en lui jetant son nom comme une suprême vengeance… Elle ne songeait qu’à se retirer sans être aperçue de sa victime.

Fuir, s’éloigner bien vite, quitter cette maison, dont les planchers lui brûlaient les pieds, elle ne voulait que cela.

Toutes ses idées vacillaient, une sensation étrange, mystérieuse, inexplicable l’envahissait ; ce n’était pas encore l’effroi, c’était la stupeur qui suit le crime, l’hébètement du meurtre…

Cependant elle se contraignit à attendre quelques minutes, et enfin, voyant que Marie-Anne demeurait toujours immobile, les paupières closes, elle se hasarda à ouvrir doucement la porte du cabinet et elle s’avança dans la chambre.

Elle n’y avait pas fait trois pas que Marie-Anne tout à coup, brusquement, comme si elle eût été galvanisée par une commotion électrique, se dressa tout d’une pièce, les bras en croix pour barrer le passage.

Le mouvement fut si terrible, que Mme Blanche recula jusqu’à une des fenêtres.

— La marquise de Sairmeuse !… balbutia Marie-Anne, Blanche… ici.

Et s’expliquant ses souffrances par la présence de cette jeune femme qui avait été son amie, elle s’écria :

— Empoisonneuse !…

Mais Mme Blanche avait un de ces caractères de fer que les événements brisent et ne font pas ployer.