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nous ruinez… Vous nous avez trompés, monsieur Lacheneur !…

Il n’osa pas protester, tant le juste sentiment de ses fautes l’écrasait.

— Bast !… qu’il vienne tout de même, fit l’autre paysan, avec un regard étrange.

Ils partirent, et le soir même, après neuf heures de marche, dont cinq de nuit, à travers les montagnes, ils franchirent la frontière…

Mais cette longue route ne s’était pas faite sans d’amers reproches, sans les plus cruelles récriminations.

Pressé de questions par ses compagnons, l’esprit affaissé comme le corps, Lacheneur avait fini par reconnaître l’inanité des promesses dont il enflammait ses complices. Il reconnut qu’il avait dit que Marie-Louise, le roi de Rome et tous les maréchaux de l’Empire devaient se trouver à Montaignac, et c’était là un monstrueux mensonge. Il confessa qu’il avait donné le signal du soulèvement sans chance de succès, sans moyens d’action, en s’en remettant presque au hasard. Enfin, il avoua qu’il n’y avait de réel que sa haine, la haine implacable qu’il avait vouée aux Sairmeuse…

Dix fois pendant ces terribles aveux, les paysans qui soutenaient la marche de Lacheneur avaient été sur le point de le pousser dans un des précipices qu’ils côtoyaient.

— Ainsi, pensaient-ils, frémissants de rage, c’est pour ses haines à lui qu’il a fait battre et massacrer le monde, qu’il nous ruine et qu’il nous perd… on verra !

Les fugitifs arrivaient à la première maison qu’ils eussent vue sur le territoire sarde.

C’était une auberge isolée, bâtie à une lieue en avant du petit bourg de Saint-Jean-de-Coche, et tenue par un nommé Balstain.

Ils frappèrent, sans s’inquiéter de l’heure — il était plus de minuit. On leur ouvrit et ils demandèrent qu’on leur préparât à souper.

Mais Lacheneur, épuisé par la perte de son sang, brisé