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— Et vous, mon père, vous qui avez la pratique des hommes, avec toute votre expérience, vous n’avez pu pénétrer ses intentions !

Entre le moment où Martial de Sairmeuse l’avait quitté au milieu de la lande, et l’instant présent, M. d’Escorval avait eu le temps de réfléchir :

— J’ai des soupçons, répondit-il, mais seulement des soupçons… Il se peut que Lacheneur, obéissant aux inspirations de sa haine, rêve quelque vengeance terrible… Qui sait s’il ne songe pas à organiser quelque complot dont il serait le chef ?… Ces suppositions expliquent tout. Chanlouineau serait comme un autre lui-même, il ménagerait le marquis de Sairmeuse pour avoir par lui des informations indispensables…

Le sang revenait aux joues pâlies de Maurice.

— Un complot, fit-il, n’explique pas l’obstination de M. Lacheneur à me repousser…

— Hélas !… si, mon pauvre enfant. C’est par Marie-Anne qu’il tient Chanlouineau et le marquis de Sairmeuse. Qu’elle devienne ta femme demain, ils lui échappent aussitôt… Puis, précisément parce qu’il nous aime, il ne voudrait à aucun prix nous mêler à une aventure dont le succès lui parait au moins incertain… Mais ce ne sont là que des conjectures.

— En effet, balbutia Maurice, en effet, je reconnais bien qu’il faut se soumettre, se résigner… oublier, s’il se peut.

Il disait cela, parce qu’il voulait rassurer son père, mais il pensait précisément le contraire.

Une idée venait d’éclore en son cerveau, vague encore, indéterminée, obscure, à peine distincte, mais qu’il pressentait devoir être une idée de salut. Et, en effet, dès qu’il fut seul, elle se dégagea, elle grandit, elle se précisa :

— Si Lacheneur organise une conspiration, se disait-il, des complices lui sont nécessaires ; il doit même en chercher… Pourquoi n’irais-je pas m’offrir à lui ? Du jour où je serai de moitié dans ses préparatifs, où je par-