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Sans s’en douter, le malheureux jeune homme venait de jouer sa tête.

Cependant, le vieux maraudeur dévora cet affront qu’il ne devait pas oublier, et c’est de l’air le plus humble qu’il poursuivit :

— Je ne dis pas que Mlle Marie-Anne n’est pas donnante, mais enfin il lui reste encore assez d’argent pour ses toilettes et ses falbalas… Je soutiens donc que M. Lacheneur serait encore très-heureux après avoir restitué la moitié, les trois quarts même des biens qu’il a acquis on ne sait comment. Il lui en resterait encore assez pour écraser le pauvre monde.

Après s’être adressé à l’égoïsme, le père Chupin s’adressait à l’envie… son succès devait être infaillible.

Mais il n’eut pas le temps de poursuivre. La messe était finie, et les fidèles sortaient de l’église.

Bientôt apparut sous le porche l’homme dont il avait été tant question, M. Lacheneur, donnant le bras à une toute jeune fille d’une éblouissante beauté.

Le vieux maraudeur marcha droit à lui, et brusquement s’acquitta de son message.

Sous ce coup, M. Lacheneur chancela. Il devint si rouge d’abord, puis si affreusement pâle, qu’on crut qu’il allait tomber.

Mais il se remit vite, et sans un mot au messager, il s’éloigna rapidement en entraînant sa fille…

Quelques minutes plus tard, une vieille chaise de poste traversait le village au galop de ses quatre chevaux, et s’arrêtait devant la cure.

Alors on eut un singulier spectacle.

Le père Chupin avait réuni sa femme et ses deux fils, et tous quatre ils entouraient la voiture en criant à pleins poumons :

— Vive M. le duc de Sairmeuse !!!…