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Involontairement il la comparait à la sérieuse Marie-Anne, et son imagination flottant de l’une à l’autre s’enflammait de l’étrangeté du contraste.

Mlle Blanche l’avait fait placer près d’elle à table, et ils causaient gaiement, se moquant un peu de leurs voisins, pendant que la discussion du tantôt se rallumait entre les autres convives, et s’enflammait à mesure que se succédaient les services.

Mais au dessert, ils furent interrompus. Les domestiques servaient du vin de Champagne, et on buvait aux alliés, dont les triomphantes baïonnettes avaient ramené le roi ; on buvait aux Anglais, aux Prussiens, aux Russes, dont les chevaux mangeaient nos moissons sur pied…

Le nom de d’Escorval, éclatant tout à coup au milieu du choc des verres, devait arracher brusquement Martial à son enchantement.

Un vieux gentilhomme, dont le chef était couvert d’une petite calotte de soie noire, venait de se lever, et il proposait qu’on fît les plus actives démarches pour obtenir l’exil du baron d’Escorval.

— La présence d’un tel homme déshonore notre contrée, disait-il ; c’est un jacobin frénétique, et même il a été jugé si dangereux, que M. Fouché l’a couché sur ses listes, et qu’il est ici sous la surveillance de la haute police.

Ce discoureur avait dû au baron d’Escorval de ne pas tomber dans la plus abjecte misère ; aussi roulait-il des yeux féroces et semblait-il ivre de rancune.

On l’écoutait, mais on se taisait, l’hésitation se lisait dans tous les yeux.

Martial, lui, était devenu si pâle que Mlle Blanche remarqua sa pâleur et crut qu’il allait se trouver mal.

— Pourquoi cette émotion si violente ? se demanda-t-elle, soupçonneuse.

C’est qu’un combat terrible se livrait dans l’âme du jeune marquis de Sairmeuse, entre son honneur et sa passion.