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Aussi, lorsque ces deux jeunes filles si différentes s’embrassèrent, les rôles furent-ils intervertis.

C’était Marie-Anne que le malheur atteignait, ce fut Mlle Blanche qui sanglota.

Mais tout en écrivant à la file le nom des personnes de sa connaissance, Mlle de Courtomieu ne songeait qu’à l’occasion favorable qui se présentait de vérifier les soupçons éveillés en elle par le trouble de Martial.

— Il est inconcevable, dit-elle à son amie, inimaginable que le duc de Sairmeuse vous réduise à une si pénible extrémité !…

Si loyale était Marie-Anne, qu’elle ne voulut pas laisser peser cette accusation sur l’homme qui avait si cruellement traité son père.

— Il ne faut pas accuser le duc, dit-elle doucement ; il nous a fait faire, ce matin, des offres considérables, par son fils.

Mlle Blanche se dressa comme si une vipère l’eût mordue.

— Ainsi, vous avez vu le marquis de Sairmeuse, ma chère Marie-Anne ? dit-elle.

— Oui.

— Serait-il allé chez vous ?…

— Il y allait… quand il m’a rencontrée, dans les bois de la Rèche…

Elle rougissait, en disant cela ; elle devenait cramoisie au souvenir de l’impertinente galanterie de Martial.

La sotte expérience de Mlle Blanche — elle était terriblement expérimentée, cette fille qui sortait du couvent, — se méprit à ce trouble. Elle sut dissimuler, pourtant, et quand Marie-Anne se retira, elle eut la force de l’embrasser avec toutes les marques de l’affection la plus vive. Mais elle suffoquait.

— Quoi !… pensait-elle, pour une fois qu’ils se sont rencontrés, ils ont gardé l’un de l’autre une impression si profonde !… S’aimeraient-ils donc déjà ?…