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France, de Montaignac. Je passais devant chez lui, ce matin, il m’appelle : « Vieux, me demanda-t-il, veux-tu me rendre un service ? » Naturellement je réponds : « oui. » Alors il me met un écu de six livres dans la main, en me disant : « Eh bien ! on va te seller un cheval, tu galoperas jusqu’à Sairmeuse, et tu diras à mon ami Lacheneur que le duc de Sairmeuse est arrivé ici cette nuit, en chaise de poste, avec son fils, M. Martial, et deux domestiques. »

Au milieu de tous ces paysans qui l’écoutaient, la joue pâle et les dents serrées, le père Chupin gardait la mine contrite d’un messager de malheur.

Mais, à le bien examiner, on eût surpris sur ses lèvres un ironique sourire, et dans ses yeux les pétillements d’une joie méchante.

La vérité est qu’il jubilait. Ce moment le vengeait de toutes ses bassesses et de tous les mépris endurés. Quelle revanche !

Et si les paroles tombaient comme à regret de sa bouche, c’est qu’il cherchait à prolonger son plaisir en faisant durer le supplice de ses auditeurs.

Mais un jeune et robuste gars, à physionomie intelligente, qui l’avait peut-être pénétré, l’interrompit brusquement.

— Que nous importe, s’écria-t-il, la présence du duc de Sairmeuse à Montaignac !… Qu’il reste à l’Hôtel de France tant qu’il s’y trouvera bien, nous n’irons pas l’y chercher.

— Non !… nous n’irons pas l’y quérir, approuvèrent les paysans.

Le vieux maraudeur hocha la tête d’un air d’hypocrite pitié.

— C’est une peine que monsieur le duc ne vous donnera pas, dit-il ; avant deux heures il sera ici.

— Comment le savez-vous ?

— Je le sais par M. Laugeron, qui m’a dit, lorsque j’ai enfourché son bidet : « Surtout, vieux, explique bien à mon ami Lacheneur que le duc a commandé pour onze