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La ronde venait de s’engager dans un chemin à peine tracé, n’ayant pas même de nom, coupé de fondrières, embarrassé de décombres, et que le brouillard, la boue et la neige rendaient périlleux.

Désormais plus de lumière, plus de cabarets ; ni pas, ni voix, rien, la solitude, les ténèbres, le silence.

On se serait cru à mille lieues de Paris, sans ce bruit profond et continu qui monte de la grande ville comme le mugissement d’un torrent du fond d’un gouffre.

Tous les agents avaient retroussé leur pantalon au-dessus de la cheville, et ils avançaient lentement, choisissant tant bien que mal les places où poser le pied, un à un, comme des Indiens sur le sentier de la guerre.

Ils venaient de dépasser la rue du Château-des-Rentiers, quand tout à coup un cri déchirant traversa l’espace.

À cette heure, en cet endroit, ce cri était si affreusement significatif, que d’un commun mouvement tous les hommes s’arrêtèrent.

— Vous avez entendu, Général ? demanda à demi-voix un des agents.

— Oui, on s’égorge certainement près d’ici… mais où ? Silence et écoutons.

Tous restèrent immobiles, l’oreille tendue, retenant leur souffle, et bientôt un second cri, un hurlement plutôt, retentit.

— Eh ! s’écria l’inspecteur de la sûreté, c’est à la Poivrière.

Cette dénomination bizarre disait à elle seule et la signification du lieu qu’elle désignait, et quelles pratiques le fréquentaient d’habitude.