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Tout semblait bien tel que l’avaient vu les deux agents en s’éloignant. Une chandelle à mèche fumeuse et charbonnée éclairait de ses reflets rougeâtres le même désordre, et les cadavres roidis des trois victimes.

Sans perdre une minute, Lecoq se mit à ramasser et à étudier un à un tous les objets renversés. Quelques-uns étaient encore intacts. Ceci tenait à ce que la veuve Chupin avait reculé devant la dépense d’un carrelage, jugeant assez bon pour les pieds de ses pratiques le terrain même sur lequel était bâti le cabaret. Ce sol, qui avait dû être uni autrefois, comme l’aire des fermes, s’était dégradé à la longue, et par les temps humides, par les jours de dégel, il n’était guère moins boueux que « la plaine » elle-même.

Les premières recherches donnèrent les débris d’un saladier, et une grande cuiller de fer, trop tordue pour n’avoir pas servi d’arme pendant la bataille.

Il était clair qu’aux premiers mots de la querelle, les victimes se régalaient de ce mélange d’eau, de vin et de sucre, classique aux barrières, sous le nom de vin à la française.

Après le saladier, les deux agents réunirent cinq de ces horribles verres de cabaret, lourds, à fond très-épais, qui semblent devoir contenir une demi-bouteille, et qui, en réalité, ne tiennent presque rien. Trois étaient brisés, deux entiers.

Il y avait eu du vin dans ces cinq verres… du même vin à la française. On le voyait, mais pour plus de sûreté, Lecoq appliqua sa langue sur l’espèce de mélasse bleuâtre restée au fond de chacun d’eux.

— Diable !… murmura-t-il d’un air inquiet.