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mer une information comme jamais lui, vétéran chevronné, n’eût su le faire.

Mais s’entretenir avec soi n’était pas le fort du bonhomme, il ne tarda pas à s’ennuyer de lui-même, et comme on arrivait à un passage assez difficile pour qu’il fût nécessaire de ralentir le train, il jugea le moment favorable à un bout de conversation.

— Vous ne dites rien, camarade, commença-t-il, et on jurerait que vous n’êtes pas content.

Ce vous, surprenant résultat des réflexions du vieil agent, aurait frappé Lecoq, si son esprit n’eût été à mille lieues de son compagnon.

— Je ne suis pas content, en effet, répondit-il.

— Allons donc !… Vous étiez gai comme pinson, il n’y a pas dix minutes.

— C’est qu’alors je ne prévoyais pas le malheur qui nous menace.

— Un malheur…

— Et très-grand. Ne sentez-vous donc pas que le temps s’est incroyablement radouci. Il est clair que le vent est au sud. Le brouillard s’est dissipé, mais le temps est couvert, il menace… Il pleuvra peut-être avant une heure.

— Il tombe des gouttes déjà, je viens d’en sentir une…

Cette phrase fit sur Lecoq l’effet d’un coup de fouet donné à un cheval vigoureux. Il bondit et prit une allure encore plus précipitée, en répétant :

— Hâtons-nous !… hâtons-nous !…

Le bonhomme prit le pas de course, mais son esprit