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S’y aventurer de nuit était réputé si dangereux, que les soldats des forts venus à Paris, avec la permission du spectacle, avaient ordre de s’attendre à la barrière et de ne rentrer que par groupes de trois ou quatre.

C’est que les terrains vagues, encore nombreux, devenaient, passé minuit, le domaine de cette tourbe de misérables sans aveu et sans asile, qui redoutent jusqu’aux formalités sommaires des plus infâmes garnis.

Les vagabonds et les repris de justice s’y donnaient rendez-vous. Si la journée avait été bonne, ils faisaient ripaille avec les comestibles volés aux étalages. Quand le sommeil les gagnait, ils se glissaient sous les hangars des fabriques ou parmi les décombres de maisons abandonnées.

Tout avait été mis en œuvre pour déloger des hôtes si dangereux, mais les plus énergiques mesures demeuraient vaines.

Surveillés, traqués, harcelés, toujours sous le coup d’une razzia, ils revenaient quand même, avec une obstination idiote, obéissant, on ne saurait dire à quelle mystérieuse attraction.

Si bien que la police avait là comme une immense souricière incessamment tendue, où son gibier venait bénévolement se prendre.

Le résultat d’une perquisition était si bien prévu, si sûr, que c’est d’un ton de certitude absolue que le chef de poste cria à la ronde qui s’éloignait :

— Je vais toujours préparer les logements de nos pratiques. Bonne chasse et bien du plaisir !

Ce dernier souhait, par exemple, était pure ironie, car le temps était aussi mauvais que possible.