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vie, cet homme-là. Entortillé dans sa camisole de force, il n’a rien pu entreprendre de la nuit… Ah ! il a dû, cette nuit-là, être mouillé d’une sueur de sang ! Quelles souffrances ! quelle agonie !…

Aussi, au matin, quand on l’a conduit à l’instruction, c’est avec une sorte de frénésie dont les transports t’avaient frappé, ô aveugle !… qu’il s’est précipité dans le cabinet du juge.

Dans ce cabinet, il comptait trouver M. d’Escorval triomphant de son malheur. Je ne suppose pas qu’il eût l’intention de se précipiter sur lui, mais il voulait lui dire :

« Eh bien ! oui !… oui, c’est moi. La fatalité s’en est mêlée : j’ai tué trois hommes, et vous me tenez, je suis à votre discrétion… Mais précisément parce qu’il y a entre nous une haine mortelle, vous vous devez à vous-même de ne pas prolonger mes tortures !… abuser serait une lâcheté infâme !… »

Oui, il voulait dire cela ou à peu près, Lecoq, mon garçon, si tu m’as bien décrit l’expression de son visage, où la hauteur le disputait au plus farouche désespoir.

Mais ce n’est pas tout.

Au lieu de M. d’Escorval, ce hautain magistrat, le prévenu aperçoit le digne, l’excellent M. Segmuller… Alors, qu’arrive-t-il ?

Il est surpris et son œil trahit l’étonnement qu’il ressent de la générosité de son ennemi… Il l’avait cru implacable.

Puis un sourire monte à ses lèvres, sourire d’espoir, car il pense que puisque M. d’Escorval n’a pas trahi son