Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/373

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rendez-vous. On n’y eût pas trouvé quatre ouvriers dignes de ce nom. Tous les gens qui mangeaient et qui buvaient là, devaient avoir eu des démêlés avec la justice. Les moins redoutables étaient peut-être les rôdeurs de barrière, qui formaient la majorité de l’honorable compagnie, tous reconnaissables à leur cravate à la colin et leur casquette de toile cirée.

Et cependant Mai, cet homme si fortement soupçonné d’appartenir aux plus hautes sphères sociales, semblait là comme chez lui.

Il s’était fait servir « un ordinaire » et un litre, et il dévorait, littéralement, arrosant sa soupe et son bœuf de larges coups, s’essuyant les lèvres du revers de sa manche.

Seulement, s’entretenait-il avec son voisin de table ? C’est ce qu’il était impossible de discerner du dehors à travers les vitres obscurcies par la buée des mets et la fumée des pipes.

— Il faut que j’entre !… déclara résolûment Lecoq. J’irai me placer près d’eux et j’écouterai.

— Y pensez-vous !… fit le père Absinthe. Et s’ils allaient vous reconnaître !

— Ils ne me reconnaîtront pas.

— Ils vous feraient un mauvais parti !…

Le jeune policier eut un geste insouciant.

— Je crois bien, répondit-il, qu’ils ne reculeraient pas devant un bon coup de couteau qui les débarrasserait de moi. La belle affaire !… Un agent de la sûreté qui ne saurait pas risquer sa peau ne serait plus qu’un mouchard. Voyez donc si Gévrol a jamais reculé…

Le vieux malin avait peut-être voulu savoir si le cou-