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— Or, pensait Lecoq, s’il accepte cette lutte, c’est qu’il entrevoit quelque chance d’en sortir vainqueur.

Grave sujet de crainte pour le jeune policier ; mais aussi, prétexte d’une délicieuse émotion. Il avait une ambition au-dessus de son état, et tout ambitieux est joueur.

Il considérait la partie comme presque égale, entre le prévenu et lui. Plus de prison, désormais, de geôliers, de juges, rien de tout le formidable appareil de la Justice.

Ils restaient seuls en présence, libres dans les rues de Paris, armés de défiances pareilles, obligés aux mêmes ruses, forcés pour se cacher l’un de l’autre, de recourir à des précautions identiques.

Lecoq avait, il est vrai, un auxiliaire : le père Absinthe. Mais qui assurait que Mai ne saurait pas rejoindre son insaisissable complice ?

C’était donc un véritable duel dont l’issue dépendait uniquement du courage, de l’adresse et du sang-froid des deux adversaires.

Toutes ces réflexions ensemble avaient traversé avec la rapidité de l’éclair l’esprit du jeune policier.

Il lâcha vivement sa pelle, et courant à un sergent de ville qui sortait de la Préfecture, il lui remit une lettre qu’il tenait toute prête dans sa poche.

— Portez vite ceci à M. Segmuller, le juge d’instruction, lui dit-il, c’est pour une affaire de service.

Le sergent de ville voulut interroger ce garnement, qui correspondait avec des magistrats, mais déjà Lecoq s’était élancé sur les traces du prévenu.

Mai n’était pas bien loin.