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De temps à autre, un agent de la sûreté passait, se rendant au rapport, et aussitôt le rentier ou le garnement courait à lui et demandait quelque renseignement en l’air.

L’homme de la sûreté répondait et passait, et alors les deux compères se rejoignaient en riant, et disaient :

— Bon !… voilà encore un tel qui ne nous remet pas.

Et ils avaient de bonnes raisons pour se réjouir, des motifs sérieux pour être fiers.

De douze ou quinze agents qu’ils accostèrent alternativement, pas un ne reconnut en eux deux collègues, Lecoq et le père Absinthe.

C’étaient bien eux, pourtant, armés et préparés pour cette chasse dont ils ne pouvaient prévoir les hasards, pour cette poursuite, qui devait être mystérieuse et acharnée comme celle des sauvages.

Dans l’esprit du jeune policier, cette audacieuse épreuve était décisive.

Du moment où des compagnons de tous les jours, des gens accoutumés à flairer toutes les supercheries du costume, se laissaient prendre à son travestissement et à celui du père Absinthe, Mai devait indubitablement y être pris.

— Ah ! je ne suis pas étonné qu’on ne me reconnaisse pas, répétait le père Absinthe, puisque je ne me reconnais pas moi-même ! Il n’y avait que vous, monsieur Lecoq, pour me transformer en un rentier bénin, moi qui ai toujours eu l’air d’un gendarme déguisé !…

Mais le temps des réflexions, utiles ou non, était passé.

Le jeune policier venait d’apercevoir, sur le pont au