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manifestement tous les assistants. Mais le détenu, sans paraître remarquer l’effet produit poursuivait :

— Je calcule que celui qui m’a envoyé ça s’est trompé de fenêtre. Je sais bien que c’est très-mal de dénoncer un camarade de prison, c’est lâche, et on risque de lui faire arriver de la peine, mais on est bien forcé d’être prudent, quand on est, comme moi, accusé d’être un assassin et qu’on est sous le coup d’un grand désagrément.

Un geste horriblement significatif du tranchant de sa main sur son cou ne laissa pas de doutes sur ce qu’il entendait par « un désagrément. »

— Et pourtant je suis innocent, murmura-t-il.

Le juge, le premier, avait ressaisi la libre disposition de toutes ses facultés. Il concentra en un regard toute la puissance de sa volonté, et fixant le prévenu :

— Vous mentez !… dit-il lentement, c’est à vous que ce billet était destiné.

— À moi !… Je suis donc le plus grand des imbéciles, puisque je vous fais appeler pour vous le remettre. À moi !… pourquoi en ce cas ne l’ai-je pas gardé ? Qui savait, qui pouvait savoir que je l’avais reçu ?…

Tout cela était dit avec une si merveilleuse apparence de bonne foi, l’œil de Mai était si clair, l’intonation si juste, son raisonnement était si spécieux, que le directeur, troublé, se reprenait à douter.

— Et si je vous prouvais que vous mentez, insista M. Segmuller, si je vous le démontrais, là, sur-le-champ ?…

— Par exemple !… Vous seriez malin !… Oh ! monsieur, pardon, excusez, je voulais dire…