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bêtes sous verre, et qui passent leur vie à les regarder grouiller à travers une grosse loupe.

Lecoq avait parachevé son œuvre, il se releva.

— Jamais comparaison ne fut plus juste, Général, prononça-t-il. Vous l’avez deviné, je dois au souvenir des travaux de ces naturalistes que vous traitez si mal, l’idée que je vais mettre à exécution. À force d’étudier une petite bête, comme vous dites, au microscope, ces savants ingénieux et patients, finissent par surprendre ses mœurs, ses habitudes, ses instincts… Eh bien ! ce qu’ils font pour un insecte, je le ferai, moi, pour un homme.

— Oh ! oh ! fit le directeur un peu étonné.

— C’est ainsi, oui, monsieur. Je veux le secret de ce prévenu… je l’aurai, je l’ai juré. Oui, je l’aurai, parce que, si solidement trempée que soit son énergie, il est impossible qu’il n’ait pas un moment de défaillance, et qu’à cette heure je serai là… Je serai là, si sa volonté le trahit, si se croyant seul il laisse tomber son masque, s’il s’oublie une seconde, si son sommeil laisse échapper une parole indiscrète, s’il n’a pas tout son sang-froid à son réveil, si le désespoir lui arrache une plainte, un geste, un regard… je serai là, toujours là !…

L’implacable résolution du jeune policier communiquait à sa voix des vibrations si puissantes, que le directeur du Dépôt en fut remué.

Il admit, pour un instant, les présomptions de Lecoq, et son esprit fut saisi de l’étrangeté de cette lutte entre un prévenu s’efforçant de garder le secret de sa personnalité, et l’instruction qui s’acharnait à découvrir la vérité.