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Elle ouvrit aussitôt son secrétaire, en sortit le livre de police qu’elle posa sur la tablette, et commença à feuilleter.

Elle s’y prenait assez maladroitement, de telle sorte que le jeune policier avec ses yeux de lynx put constater que le registre était bien tenu.

Enfin, elle arriva au feuillet important.

— Dimanche, 20 février, dit-elle, regardez, monsieur, ici, à la septième ligne : MAI, — sans prénom, — artiste forain, — venant de Leipzig, — sans papiers

Pendant que Lecoq examinait cette mention d’un air absolument hébété, la femme eut encore un souvenir.

— Je m’explique, s’écria-t-elle, comment je n’avais dans la mémoire ni ce nom de Mai, ni cette drôle de profession : artiste forain. Ce n’est pas moi qui ai écrit cela…

— Qui donc est-ce ?…

— L’individu lui-même, monsieur, pendant que je cherchais dix francs pour les lui rendre sur un louis qu’il venait de me remettre. Vous devez bien voir que l’écriture n’est plus du tout celle des autres inscriptions qui sont au-dessus et au-dessous…

Oui, Lecoq voyait cela, et c’était un argument irréfutable, précis et terrible comme un coup de bâton.

— Êtes-vous bien sûre, au moins, insista-t-il vivement, que cette mention est de la main de l’homme ?… Le jureriez-vous ?…

Il était si fort troublé, qu’il oublia sa prononciation exotique. La femme s’en aperçut, car elle recula, enveloppant d’un regard soupçonneux ce faux étranger.