Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/207

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Qu’est-ce que ce complice qui, après votre arrestation, a osé pénétrer dans le cabaret pour y reprendre quelque pièce compromettante, une lettre, sans doute, qu’il savait être dans la poche du tablier de la veuve Chupin ? Qu’est-ce que cet ami si dévoué et si hardi, qui a su feindre l’ivresse, à ce point que les sergents de ville trompés l’ont enfermé avec vous ? Soutiendrez-vous que vous n’avez pas concerté avec lui votre système de défense ? Affirmez-vous qu’il ne s’est pas assuré ensuite le concours de la Chupin ?…

Mais déjà, grâce à un effort surhumain, l’homme était redevenu maître de soi.

— Tout ça, fit-il d’une voix rauque, est une invention de la police !…

Si fidèle qu’on suppose le procès-verbal d’un interrogatoire, il n’en rend pas plus l’exacte physionomie que des cendres froides ne donnent la sensation d’un feu clair.

On peut noter les moindres paroles ; on ne saurait traduire le mouvement de la passion, l’expression du visage, les réticences calculées, le geste, l’intonation, les regards qui se croisent, chargés de soupçons ou de haine, enfin l’angoisse émouvante et terrible d’une lutte mortelle.

Pendant que le prévenu se débattait sous sa parole vibrante, le juge d’instruction tressaillait de joie.

— Il faiblit, pensait-il, je le sens, il s’abandonne, il est à moi !…

Mais tout espoir de succès immédiat s’évanouit, dès qu’il vit ce surprenant adversaire dompter sa défaillance d’une minute, se roidir et se redresser avec une énergie nouvelle et plus vigoureuse.